Une maman et une tantine
aux petits soins

Avec la deuxième Poésie, «Une maman et une tantine aux petits soins», on reste dans le domaine de l’enfance, mais en changeant radicalement d’ambiance – diversité oblige : il s’agit ici d’une comptine, chantée par une mère à son enfant dans les tons d’un certain bonheur familial : la maman est accompagnée par la «tata» du titre et du duo (soprano et alto), tandis que le papa s’affaire à la ville.

Comme souvent dans les comptines, les six strophes répètent la même formule en 4 vers: «aïe, aïe, aïe» (vers 1), «papa, va au village !» (vers 2, rimant avec 1), «rapporte-nous cela» (vers3) «pour qu’il n’ait pas mal là» (vers 4). «Cela» et «là» forment une assonance qui va se retrouver dans les six strophes, mais avec des «friandises» et des «affectations corporelles» différentes : après pomme/yeux viendront poule/dent, canard/poitrine, oie/ventre, graine de tournesol/tempe, et lièvre/doigt
La traduction française «ne rime à rien» (au sens propre comme au sens figuré !), puisqu’elle reconduit le sens (secondaire) et non le son (essentiel) des mots. Et force est de reconnaître que même dans l’original russe, les associations phonétiques manquent un peu de cohésion… La raison en est que le russe ne fait lui-même que traduire comme il peut l’original yiddish !

Il faut donc remonter à cet original yiddish pour entendre la comptine avec les assonances qui font ce qu’elle est : au sein de chacune des six paires, sur les six phonèmes composant les trois syllabes assonantes, seul le premier change, les cinq derniers étant systématiquement identiques. Cela tient essentiellement à la présence des diminutifs investissant les trois dernières phonèmes (-ele); quant aux trois premiers phonèmes, ils forment des mots monosyllabiques rimant par la voyelle centrale et la consonne finale.
Cette incursion dans le yiddish est l’occasion de montrer comment cette langue associe des mots d’origines germanique et hébraïque (entre autres). Dans la traduction allemande de la colonne centrale, seul un mot ne trouve pas son «parent» en Hochdeutsch (haut allemand) : jaichele, diminutif de jaich, de l’hébreu yoyech

Il résulte de tout cela que l’adaptation française devra se soucier elle aussi d’assonance plus que de sens – en restant cependant aussi proche que possible du sens en yiddish, car même si ces mots ne s’imposent par prioritairement par leur sens, ils doivent tenir compte des usages alimentaires de juifs russes pauvres d’avant 1917, ainsi que des usages lexicaux d’un enfant de deux à trois ans…

La musique commence par installer un frejlech (cf.3.1) un peu spécial : un «um-pa/pa-um» en croches piquées (des pizzicati dans la version pour orchestre). Sur ce rythme, l’alto chante une mélodie simple dans un mode hybride sur mi♭ : le tétracorde inférieur est «majeur» (mi♭ fa sol la♭), le supérieur est «éolien» (si♭ do♭ ré♭ mi♭).
Notez le passage de 2/4 à 3/4 pour accueillir les mots vedettes : ils comportent trois syllabes (impossible de faire plus court avec le diminutif russe –outchko !), et il n’est pas question, vu leur importance, de leur consacrer moins d’une noire par syllabe…
Suit une vocalise sur «baï» (la «lalie» hassidique du début), entonnée par les deux voix de femmes chantant en quartes parallèles une sorte de double broderie autour de dominante et tonique (si♭ à l’alto et mi♭ au soprano): le IIème degré s’y abaisse (fa♭) et le IVème s’y hausse (la♮) pour coller au plus près de la tonique et de la dominante respectivement, avec un effet moins modal qu’ornemental.

Dans la résonnance de la vocalise, se profile une arabesque descendante, qui, dans la version pour orchestre, est confiée à la flûte, et qui fait entendre pour la première fois l’intervalle mélodique de seconde augmentée en abaissant le IIIème degré dans l’enchaînement ré♮ (VII haut) la♮ (IV haut) sol♭ (III bas) fa (II haut) mi♭.

La deuxième strophe reprend la même musique, mais sur sol : mi♭ ne reviendra qu’avec la vocalise - avec un «effet dominante» sur si♭. Après cela, le binôme ainsi constitué (strophes 1 et 2) va se répéter deux fois presqu’à l’identique pour absorber les quatre dernières strophes.

Les variantes affectent les deux strophes paires en sol: par rapport à la strophe 2, la strophe 4 intègre un VII haut (fa♯), ce qui fait de l’accord de la mesure 50 un agrégat plus dissonant (do la sol mi♭ fa♯) que celui de la mesure 21 (do la sol mi♭ fa♮) ; dans la strophe 6 (entonné d’emblée par les deux femmes), l’atmosphère se détend au contraire grâce à la présence d’un mi♮ (VI haut) – qu’on entend surtout quand il apparait au soprano sous le mot «zaïtchika» = «petit lièvre») - , et à la disparition du fa dans l’accord de la m 79.
On comprend que la strophe 6 est la dernière car la vocalise y est reprise – ainsi que son arabesque, confiée alors à la clarinette.

Cette comptine existe dans l’anthologie de Vinkovetzky : Chostakovitch a pu retenir de la chanson populaire le démarrage sur trois noires et sur les trois notes d’un accord parfait (fa♯ si ré -> mi♭ sol si♭) ; le mode (un pur «phrygien», sans seconde augmentée), et la vocalise : c’est là qu’apparait dans les deux cas le II bas caractéristique du mode (do♮ dans la mélodie populaire, fa♭ dans la mélodie savante).

version chantée:
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