les Juifs de Russie
Intitulée «Poésies populaires juives», l’œuvre que vous venez d’entendre contient de nombreuses références à la culture populaire traditionnelle des Juifs de Russie, et c’est par ce volet culturel qu’il s’agit d’ouvrir notre dossier «contextuel».
Pour faire très bref, les populations juives chassées de Judée en 70 (destruction du Temple par Titus) contournèrent le bassin méditerranéen par le Sud (Juifs sépharades, qui investirent le Maghreb et la péninsule ibérique), ou vers le Nord : Juifs ashkénazes, qui atteignirent le bassin rhénan dans le sillage des Romains.
C’est là qu’au Xème siècle, dans un contexte relativement favorable, s’élabora, à l’instar des autres langues vernaculaires d’Europe, la langue vernaculaire ashkénaze appelée yiddish (de Yid ou Jüde, «Juif» en allemand) : fusion, pour l’essentiel, de l’hébreu araméen (la langue sacrée), et du moyen haut allemand (la langue vernaculaire ambiante), bientôt relayée à ce titre par de nombreuses langues slaves.
Après l’an 1000, les croisades (1096-1270) puis la Peste Noire (1348) - entre autres catastrophes - vont en effet obliger les Juifs ashkénazes à fuir : vers l’Ouest (la France via l’Alsace), le Nord (les Pays-Bas), le Sud (la Bohême, l’Italie) et l’Est, où la Pologne de Boleslas le Pieux (1264) puis celle de Casimir le Grand (XIVe s.) leur réserveront un sort privilégié.
Après les divisions de la Pologne entre 1772 et 1795, les Juifs vivant à l’Est du pays (la majorité des Juifs polonais) devinrent des ressortissants de l’empire russe : Catherine II autorisa ses nouveaux sujets juifs à rester dans les régions «polonaises» annexées, tout en les incitant à s’établir en «Nouvelle Russie» (Tauride, Kherson, Iekaterinoslav) : une zone que l’Empire russe était en train de prendre à l’Empire ottoman (Crimée : 1783, Ukraine : 1793, Bessarabie : 1878…), et dont il voulait assurer le développement économique.
Pour limiter l’expansion juive vers le «centre», les tsars créèrent bientôt (1791) une zone de confinement appelée «zone de résidence» sur les marches occidentales et méridionales de l’empire russe, incluant des portions importantes des Lituanie, Biélorussie, Pologne, Moldavie, Ukraine et Russie occidentale actuelles - ce qui fait que la grande majorité des Juifs «russes» vécut en fait parmi les nationalités assujetties : Polonais, Lituaniens, Lettons et Russes blancs, Ukrainiens.
En 1882 un oukase d’Alexandre III contraignit par ailleurs les Juifs de la «zone» à se cantonner dans les «shtetlekh» - le shtetl (mot yiddish où l’on reconnaît le diminutif du Statd allemand) étant un lieu intermédiaire entre la «grande ville» interdite et la campagne - dissuasive elle aussi puisque les Juifs n’étaient pas autorisés à posséder ou cultiver de la terre…
La population de cette «zone» représente un chiffre à peu près constant de cinq millions de personnes, l’émigration abondante (deux millions entre 1881 et 1914) étant compensée par une non moins abondante natalité. C’est la vie des Juifs dans la «zone de résidence» avant son abolition en 1917 qui est évoquée dans la majorité des Poésies de notre op79.