GOFFMAN Erving
La mise en scène de la vie quotidienne, vol.1, La présentation de soi
Minuit, coll. « Les sens commun », 251 p.
Premier livre d'Erving Goffman (1922-1982), La Présentation de soi (premier tome de La Mise en scène de la vie quotidienne) impose d'emblée le sociologue comme une figure majeure du courant dit interactionniste.
S'appuyant sur la thèse qu'il venait de soutenir sur les formes de la communication interpersonnelle aux îles Shetland (Ecosse), sur des travaux ethnographiques minutieux d'étudiants de l'université de Chicago ou des exemples littéraires, La Présentation de soi est une tentative de décrire, classifier et ordonner les façons dont les individus lient des rapports interpersonnels au quotidien, qui constituent « la vie sociale qui s'organise dans les limites physiques d'un immeuble ou d'un établissement » : gestuelle, paroles, stratégies... Goffman file pour cela la métaphore dramaturgique : le monde social est un théâtre, et l'interaction une représentation. Pour bien la jouer, les individus cherchent des informations qui permettent de situer leur(s) partenaire(s) d'interaction. Dès lors, « l'acteur doit agir de façon à donner, intentionnellement ou non, une expression de lui-même, et les autres à leur tour doivent en retirer une certaine impression ».
Par exemple, lorsqu'on est invité à dîner chez quelqu'un pour la première fois, on participe à une véritable mise en scène : chacun s'efforce de tenir le rôle qui lui est prescrit par la situation. En ces occasions, la maîtresse de maison soigne souvent son apparence et le décor domestique (en mettant des fleurs fraîches), ce que Goffman appelle la « façade ». L'espace physique est divisé : le salon ou la salle à manger, où a lieu la représentation, constitue la « scène » (ou « région antérieure »). La cuisine, elle, forme une « coulisse » (ou « région postérieure »). C'est un lieu où la représentation est suspendue, et où n'entrent généralement pas les invités. Les hôtes peuvent alors s'y « relâcher » (notamment corporellement), préparer leur prestation à venir, voire se plaindre de la fatigue ou de l'ennui (« c'est long, ce repas ! »).
La réussite de cette opération n'est jamais acquise d'avance : chacun essaie, au cours des interactions, de « garder la face » (autrement dit, de faire bonne impression), mais il y a toujours un risque de la perdre. Il suffit pour cela d'un raté : perte de contrôle musculaire (bâillement, trébuchement), intérêt trop faible ou trop grand pour l'interaction (oublier ce qu'on voulait dire ou prendre les choses trop au sérieux), ou encore « direction dramatique maladroite » (décor inapproprié, apparition ou retrait de la scène à contretemps).
C'est la force de cet ouvrage que de jeter un regard distancié, clinique et instructif sur ce « presque rien » que sont les détails de l'interaction. Il montre le parti que l'on peut tirer, en quasi-éthologue, de la simple observation des pratiques a priori les plus insignifiantes. Des notions telles que « statut », « position » ou « situation sociale » peuvent ainsi être envisagées comme des « modèles de conduite [...], quelque chose qui demande à être actualisé et qu'il faut réaliser ». Avec La Présentation de soi, Goffman ouvre à la sociologie une de ses perspectives les plus fécondes.
Par Xavier Molénat, 2003, Revue de Sciences humaines.
http://www.scienceshumaines.com/la-mise-en-scene-de-la-vie-quotidienne_fr_13012.html (Consulté le 22.01.2013).
L’auteur
Erving Goffman (1922-1982) est un sociologue et un linguiste étasunien, d’origine canadienne. Il est avec Hoxard Becker l’un des principaux représentants de l’Ecole de Chicago qui, à partir des années 1940, réunit une deuxième génération de chercheurs qui se consacre plus à l'étude des institutions et des milieux professionnels.
Erving Goffman s'écarte assez vite des méthodes dites quantitatives et statistiques pour privilégier l'observation participante. Il prend une part active au courant de l’interactionnisme symbolique, mais son travail ne se réduit pas à une analyse interactionniste. La notion d'interaction prend une place très importante dans son œuvre et en particulier la notion de « perdre la face ».
Dans La présentation de soi, Goffman décrit la vie sociale comme une scène de théâtre avec des acteurs, leurs publics et les coulisses de ce théâtre, lieu où les acteurs peuvent « se rattraper » si l'impression donnée n’est pas positive.
Cette méthode est utilisée depuis peu, et cela intéresse ce programme, par les anthropologues qui travaillent sur les Gnawa.