Deux extraits de Les représentations d'Erving Goffman.
(p. 61)
« On a vu précédemment qu’un public est capable de s’orienter dans une situation quelconque en acceptant de confiance les indices fournis par les acteurs et en les considérant comme de simples signes de quelques chose qui les dépasse ou qui leur est différent. Si la tendance du public à accepter les signes fait courir à l’acteur le risque de ne pas être compris et lui impose une grande vigilance expressive dans toutes ses actions, elle fait également courir au public le risque d’être dupé et de s’égarer ; en effet, rares sont les signes qu’on ne peut pas utiliser à prouver l’existence de quelque chose qui n’existe pas réellement. Et il est évident que beaucoup d’acteurs ne manquent ni de talent ni de bonnes raisons pour falsifier la représentation des faits. Seuls la honte, un sentiment de culpabilité ou la crainte peuvent les en empêcher.
Pour les membres d’un public, l’impression que l’acteur cherche à donner peut être aussi bien vraie que fausse, sincère que simulée, réelle que factice. La doute est si répandu que, comme on l’a vu, on accorde souvent une attention particulière à des aspects de la représentation qui ne peuvent se manipuler à volonté, et on se donne ainsi la possibilité de mesurer la crédibilité des aspects de la représentation qui se prêtent le plus à la falsification. Les méthodes de travail scientifique de la police et les tests projectifs constituent des exemples extrêmes d’application de cette tendance. Et si l’on a des réticences à accorder à un acteur le traitement précis auquel lui donne droit le statut dont il présente certains traits symboliques, on est, en revanche, toujours disposé à ne négliger aucun des défauts de sa cuirasse symbolique pour jeter le doute sur les prétentions qu’il exprime. Quand on parle des gens qui présentent une façade mensongère ou « seulement » une façade, des gens qui dissimulent, trompent et fraudent, on exprime la conscience d’un divorce entre les apparences et la réalité. On désigne aussi la position précaire où se placent les acteurs, car, à n’importe quel moment de leur représentation, un événement peut venir les surprendre et contredire brutalement ce qu’ils ont affirmé en public, leur infligeant ainsi une humiliation dans l’immédiat et leur faisant perdre parfois définitivement leur réputation. On a tendance à croire que, ce qu’un acteur honnête est capable d’éviter, ce sont précisément ces situations terribles engendrées par le fait d’être surpris en flagrant délit de représentation frauduleuse. Cette vue du sens commun ne présente qu’un intérêt limité pour l’analyse ».
GOFFMAN Erving, La mise en scène de la vie quotidienne,
vol.1, La présentation de soi, Minuit, coll. « Les sens commun », pages indiquées.