Ce que nous apprend l'anthropologie

DERMANGHEM Émile, La Hadhra du Cheik Parfait (Aïssaoua).


La hadhra des Aïssaoua ('Isawa) est assez mal connue et généralement mal comprise; soit qu'on la juge d'après des exhibitions foraines, soit qu'on s'arrête aux apparences et à des descriptions très nombreuses, mais le plus souvent fort extérieures ou se répétant les unes les autres. Ces descriptions insistent presque toujours sur un aspect spectaculaire, parlent d'hystérie, de fanatisme, de sauvagerie, de miracles ou de supercheries. La réalité est tout autre. Pour la comprendre, il faut aller plus loin que le saisissement causé par des performances à la vérité assez impressionnantes mais qui ne présentent, je crois, d'autre prodige, que d'aller jusqu'au bout dans une certaine direction. Il faut envisager les choses dans leur ensemble. Elles apparaîtront alors comme profondément sérieuses, comme participant à la fois de la liturgie, de l'art, de l'exercice spirituel, de la recherche du bonheur par la sortie hors de l'individualité limitée, c'est-il-dire par l'extase.
Les performances elles-mêmes qui suivent l'office liturgique apparaîtront alors comme des issues et comme des signes; le tout ressortissant de cette catharsis, de cette purification, qui semble, depuis qu'Aristote a employé ce mot pour la tragédie, la raison profonde de toute activité désintéressée.
Nous essaierons ici de décrire aussi objectivement que possible le développement d'une hadhra à la zaouïa d'Ouzera, telle que nous avons eu plusieurs fois l'occasion de l'observer aux grandes fêtes nocturnes de septembre.
La zaouïa d'Ouzera se trouve dans la commune de Loverdo, arrondissement de Médéa, sur une pente de l'Atlas. On peut l'atteindre depuis quelque temps en auto. L'entrée du territoire est gardée par un rocher que les pèlerins lapident comme les « Satans » de Mina. Les constructions sont assez importantes. Dans une vaste salle, les tombes familiales entourent celle de Sidi Mohammed ben 'Isa, petit-fils du fondateur de …

DERMANGHEM Émile, Le culte des saints dans l’Islam maghrébin, Gallimard, 1954, pp. 303