CLAISSE DAUCHY Renée, La tradition savante et populaire.
La tradition savante appartient à un petit groupe de lettrés. Elle est perpétuée par un enseignement dispensé dans les universités comme la Qarawin à Fès. Elle est basée sur l'étude du Coran, des hadiths), dires du Prophète et de la Sunna: coutume qui découle du texte des hadiths (1).
En fait, la notion de Sunna est plus difficile à cerner. Selon Goldziher [voir lexique], "le mot hadith signifie communication, récit, mais aussi toute information historique, religieuse ou profane, se rapportant à un passé proche ou lointain". Les propos, faits et gestes du Prophète ont ainsi été rapportés par ses adeptes. Pour l'auteur, Hadith et Sunna ne seraient pas synonymes. Il en donne pour exemple le concept de Sunna familier aux arabes anciens comme étant la tradition des ancêtres. "La notion musulmane de Sunna n'est donc que le remaniement d'un ancien concept arabe". La Sunna musulmane est donc la Sunna du Prophète: c'est-à-dire l'ensemble de ses comportements dans sa vie quotidienne. Dès le IIème siècle, Coran et Sunna sont considérés comme ayant force de loi et toute innovation (bid'a) n'ayant pas de fondement dans les sources est considérée comme hérétique.
La tradition populaire s'est transmise oralement de génération en génération. En fait, cette distinction n'est pas totalement pertinente. Il existe au Maroc une approche particulière du sacré, mêlant étroitement les enseignements de la religion aux pratiques se réclamant d'un islam intégrant cultes des saints, influence de la baraka, rôle des génies et forte présence des confréries. Toutes les catégories sociales adhèrent à cette vision de l'islam. Les moussem peuvent en constituer une illustration.
"Le Moussem, dit Naïma M., sert à sortir tous les problèmes de l'année et à les exorciser pour l'année à venir". Celui des Aïssawa(s) (2) a lieu à Meknès, le jour du Mouloud (anniversaire de la naissance du Prophète). Les autorités publiques sont présentes mais discrètes, car il s'agit de fêtes organisées par les confréries elles-mêmes. Un calendrier des moussem est cependant diffusé par le ministère du tourisme.
Enfin, au Maroc, selon nos interlocutrices, on se référera principalement au recueil d'El Bokhârî (3), pour ce qui est des hadiths. Le hadith aura force de loi: "la durée de deuil de la veuve est de quatre mois et dix jours" (4). La distinction "Hadith/Sunna" est assez floue, ceux qui ont reçu une formation coranique en font une seule et même notion, les milieux populaires sont plus hésitants.
Voici ce que nous disent nos interlocutrices, femmes de milieux populaires: la Sunna est "quelque chose qui vient de l'islam et d'avant l'islam". Mais, dit l'une d'entre-elles, "cela n'est pas grave", marquant par là l'importance secondaire de la distinction, qui toutefois semble assez clairement perçue en ce qui concerne la Sunna prophétique. Elles donnent différents exemples :"il faut faire les prières, le Ramadan, ne pas manger de porc, ni boire d'alcool" selon la Sunna prophétique, mais, ajoutent-elles, "on peut consommer porc et vin si l'on arrête quarante jours avant le Ramadan". Elles disent aussi que la fête du mariage vient de la Sunna des ancêtres, l'acte lui-même relevant de la Sunna prophétique. Nos interlocutrices affirment clairement que ce qui relève de la "Sunna de l'islam" est obligatoire, mais ce qui relève de l'autre ne l'est pas.
CLAISSE DAUCHY Renée, Médecine traditionnelle du Maghreb, Rituels d’envoûtement et de guérison au Maroc, L’Harnattan, 1996, pp 15-17.
Notes
(1) L'Islam maghrébin est en majorité sunnite de rite malékite, c'est-à-dire codifié par l'Imam Malek (mort en 795). Il se fonde sur le Coran et la tradition. Voir à ce sujet, I. Golziher, Etudes sur la tradition musulmane, extraite du tome 2 des Muhammedanische Studien, traduit par Léon Bercher, Paris, Maisonneuve, 1952, p. 118 et 119.
(2) Voir E. Dermenghem, Le culte des saints dans l'islam maghrébin, Paris, Gallimard, 1964, Chap. IV, p. 302, "La hadra du cheikh parfait".
(3) El Bokhârî est un savant né en Perse en 810, dont le recueil des hadiths) est considéré comme l'une des sources les plus fiables. G. H. Bousquet a traduit le Çahih de Bokhârî (çahih signifie authentique), en mentionnant à la suite de chaque hadith " la référence au moyen de deux chiffres celui du chapitre et celui de la section et, lorsque c'est utile, celui du numéro de la tradition entre parenthèses". Le travail de Bokhârî est divisé en 97 chapitres et chaque chapitre en sections.
(4)El Bokhârî, traduction de G. H. Bousquet, p316, 68-46.