L’opus 79 de Chostakovitch est un cycle de onze mélodies écrites pour trois voix (soprano, alto et ténor) sur des traductions russes de poèmes populaires yiddish. Composé en 1948, ce cycle sera créé avec piano deux ans après la mort de Staline, et avec orchestre en 1964.
Ces quelques lignes suffisent à révéler des pistes d’approche aussi riches que variées :
- une piste historique : comment composer de la musique juive en URSS à une époque où Staline muselle les artistes « formalistes » et extermine les intellectuels juifs ?
- une piste sociologique : comment apprécier dans leur réalité ces scènes de la vie populaire juive présentées comme dramatiques en Russie tsariste (n°1-8), et idylliques en Russie soviétique (n°9-11) ?
- une piste linguistique : comment traduire en français du russe lui-même traduit du yiddish dans le genre poétique de la « chanson populaire »?
- et bien sûr de nombreuses pistes musicales : comment écrire de la musique juive quand on est Chostakovitch, c’est-à-dire un compositeur « goï » investi d’une très grande individualité ? Comment utiliser le potentiel de trois voix solistes ? Comment concevoir la même œuvre simultanément pour piano et pour orchestre ?
Reste ce qui ne s’explique pas, mais qui s’appréciera dans un enregistrement sonore et des illustrations plastiques spécialement conçus pour la circonstance : une œuvre qui appartient à « la sphère la plus élevée de l’art, celle qui est commune à l’humanité entière, où tous les peuples s’abreuvent aux sources vives de toute poésie sublime… » - comme l’écrit Liszt à propos de ses Rhapsodies hongroises d’inspiration tzigane.